• The Man In The High Castle : Dystopie fascinante d'une Amérique vaincue

     

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    Considéré comme le chef-d'oeuvre absolu de Philip K. Dick, maître de la science-fiction américaine, The Man In The High Castle est aussi son roman le plus réaliste : ici, pas de gadgets futuristes ni d'invasion extraterrestre -l'intrigue se déroule en 1962, année de publication du roman- mais une proximité temporelle et culturelle avec l'Amérique de la Guerre Froide. A ceci près que le continent américain y est dominé par les puissances de l'Axe, victorieuses de la Seconde Guerre Mondiale : Nazis et Japonais se partagent un continent disloqué ; New York en nouvelle capitale du Reich, San Francisco en bastion des japonais, sont séparées l'une de l'autre pas une « zone neutre » au centre du pays. Difficile de comprendre pourquoi une adaptation cinématographique n'a encore jamais vu le jour, alors que plusieurs romans de Philip K. Dick ont été adaptés avec succès sur grand écran, parmi lesquels les grands classiques Blade Runner (1987) et Minority Report (2002). Il aura fallu attendre l'audace d'Amazon Studios et du producteur Ridley Scott, pour faire vivre ce monde alternatif aussi effrayant que fascinant, dont la première saison est sortie dans son intégralité le 20 novembre dernier.

     

    LES ETATS UNIS A L'HEURE DU NAZISME

    C'est le showrunner Frank Sponitz (The X-Files) qui est aux commandes de ce blockbuster historico-dystopique, aux décors somptueux de vraisemblance : les écrans de Times Square sont saturés de croix gammées, les rues de San Francisco envahies d'enseignes japonaises, se mêlant au quotidien d'une population américaine dont le mode de vie ne semble pas avoir fondamentalement changé. Et c'est ce qui frappe d'emblée le spectateur contemporain, nourri des images d'horreur de l'holocaust, des régimes génocidaires et dictatoriaux : la domination germanico-japonaise prend ici davantage l'allure d'une cohabitation pacifique entre "autochtones" et "colons", dans un pays dominé par une sorte de syncrétisme culturel. Si l'héroïne Juliana Crane fréquente assidûment le dojo de son quartier et bredouille quelques mots de japonais, c'est au diner qu'elle va prendre son café. L'American Way Of Life n'est jamais très loin dans la ville de Canon City, en zone neutre, qui fait furieusement penser aux villes de débauche typique des westerns. Bien sûr, l'utopie nazie fait face à une Résistance coriace, un mouvement souterrain en possession d'un film hautement transgressif, au titre énigmatique : The Grasshopper Lies Heavy, ou Le Poids de la Sauterelle.

     

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    LE CINEMA SAUVERA-T-IL LE MONDE ?

    La discrète Juliana Crane (Alexa Davalos) devient malgré elle une ennemie du Reich et de l'Empire en récupérant la pellicule tant redoutée des mains de sa sœur Trudy, juste avant d'assister à son assassinat par les terribles Kempetais, équivalent japonais des SS. Juliana s'empresse de visionner le film, en compagnie de son compagnon Frank Frink (Rupert Evans) -qui cache ses origines juives de peut d'être exterminé par les Nazis. La stupeur se lit sur le visage du couple qui découvre sans les comprendre les images du débarquement et de la victoire des Alliés sur les forces de l'Axe. Si le spectateur a l'impression de regarder des documents d'archive, les personnages immergés dans une réalité alternative perçoivent eux une fiction. L'occasion d'une mise en abyme vertigineuse, où l'on se demande finalement si ce n'est pas nous qui sommes prisonniers d'un univers fictionnel.

     

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    L'intelligence de la série est aussi d'adapter l'objet à son genre : dans le roman, c'est une œuvre littéraire qui sert de fil conducteur, oeuvre publiée en zone neutre et dans l’État du Pacifique, interdite dans le Reich, d'un certain Hawthorne Abendsen, également appelé Le Maître du Haut-Château. Dans la série, le livre est devenu film, beaucoup plus confidentiel et dangereux puisqu'arme principale d'une Résistance qui peine à exister. La force de vérité des images semble ainsi surpasser le pouvoir d'évocation des mots, qui n'ont pas la puissance d'authenticité de l'image-témoignage. La série semble donc faire une apologie du cinéma, à la fois en tant qu'outil idéologique formidable capable de changer le monde mais aussi témoin visuel essentiel du déroulement de l'Histoire.

    Difficile de reprocher, donc, à la série de Frank Sponitz de manquer d'une intrigue soutenue : The Man In The High Castle est avant tout une œuvre contemplative, à l'image du roman dont elle est tirée. Un vrai faux témoignage d'une société américaine occupée, avec ses collabos, ses résistants, mais surtout ces citoyens passifs qui continuent de mener une vie normale sous le joug des victorieux. Devenue série la plus populaire de la plateforme, une saison 2 a déjà été commandée par Amazon Studios, qui commence à se faire une place de taille dans la production sérielle made in US.

     


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  • Jessica Jones, la super-héroïne blasée qui crève l'écran

     

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    Les fans de Marvel et de son célèbre MCU (le Marvel Cinematic Universe, qui regroupe les personnages des comics) avaient sauté de joie fin 2013, lorsque Netflix annonça la production d'une nouvelle série Marvel. Jessica Jones avait d'abord été développée pour la chaîne ABC, un projet (heureusement) avorté, qui avait permis au géant de la vidéo à la demande de récupérer le pitch et sa showrunneuse de talent, Melissa Rosenberg. Et pourtant, difficile pour Rosenberg de débarquer avec l'un des personnages les moins connus de l'univers Marvel, surtout après le succès rencontré par un prédécesseur plus prestigieux, et plus classe, j'ai nommé Daredevil. Jessica Jones, héroïne mineure, est-elle à la hauteur du justicier Matt Murdock ? Il semblerait bien que oui.


     

    La révélation Krysten Ritter

    Cette jeune femme où cohabitent force physique étonnante, faiblesse psychique, goût prononcé pour les alcools forts, solitude forcenée et altruisme maladif, Krysten Ritter parvient à le faire vivre avec vigueur, donnant une crédibilité ultra-réaliste à un personnage de comics. Et pourtant, Ritter fait partie de ces acteurs qu'on voit sans les connaître, habituée des seconds rôles à la télévision (Veronica Mars, Gilmore Girls, Breaking Bad) et au cinéma (27 Robes, Big Eyes).

    Ici, son allure dégingandée -elle porte toujours les même vêtements abîmés par l'usure, jeans et veste noire de cuir-, son regard mêlant ironie et dédain, ses répliques cinglantes contribuent à construire une ex-héroïne blessée, qui noie sa culpabilité et sa solitude dans de nombreuses bouteilles de whisky. Krysten Ritter n'a ni le physique de la bombe sexuelle, ni l'optimiste de la super-héroïne, elle est surtout terriblement humaine, et c'est ce qui nous plaît. Loin de la féminité exacerbée de la Supergirl de CBS, Jessica Jones est une véritable badass qui porte les robes en horreur.

     

    Mélange des genres

    La série se veut sombre, reprenant l'ambiance nébuleuse des films noirs américains des années 50 : dans Jessica Jones, c'est le pessimisme de l'héroïne qui domine, sa soumission à une fatalité écrasante et inévitable, celle de la confrontation létale avec son bourreau Kilgrave (David Tennant). Le méchant de l'histoire, bien que quasi-absent des premiers épisodes, est constamment évoqué par Jessica, qui semble terrorisée à l'idée de son éventuel retour.

     

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    Véritable fil conducteur de la saison, Kilgrave est aussi une figure du mal particulièrement bien interprétée par le génial David Tennant, qui reprend pour l'occasion les traits du sournois Barty Croupton Junior qu'il incarnait dans Harry Potter et la Coupe de Feu. Capable de plier les esprits à toutes ses exigences, il oblige ses victimes à se suicider ou à tuer leurs parents, à l'image de la pauvre Hope Shlottman (Erin Moriarty) que Jessica s'entêtera à vouloir sauver de la prison à vie. Série fantastique, tragédie classique et film noir, Jessica Jones mêle les genres et les tons, et on adore ça.

     

    Vous avez dit féminisme ?

    Jessica Jones n'est pas la seule justicière que Melissa Rosenberg ait couvé, puisque la showrunneuse a fait ses marques sur la série Dexter, dont elle fut scénariste et productrice exécutive pendant quatre ans, avant d'adapter pour le cinéma les romans Twilight de Stephenie Meyer.

     

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    Rosenberg ne s'en cache pas, Jessica Jones est une série féministe : son objectif étant d'exacerber les « conversations à propos des femmes au pouvoir, de la sexualité féminine, du viol, des abus sexuels » et d'apporter « une perspective féministe et politique à ces thèmes », confiait-elle début décembre au magazine américain Variety. Les femmes sont en effet les grandes victimes de cette série, mais elles en sont surtout les héroïnes, très coriaces et pas forcément sympathiques, à l'image de Jeri Hogarth (Carrie-Anne Moss), avocate lesbienne inflexible et puissante. Soeur d'adoption et meilleure amie de Jessica Jones, Trish Walker (Rachael Taylor) a beau être l'archétype de la femme « féminine », elle apprend le Krav-Maga pour se défendre, ne suit jamais les conseils paternalistes de son amant Will Simpson (Wil Traval) et vit une relation quasi-fusionnelle avec la cynique détective, créant un contraste assez étonnant et souvent drôle.

     

    La série ne semble être que le début de longues aventures sérielles pour l'héroïne inconnue du comics Alias sorti en 2001. En effet, si Luke Cage (Mike Colter) apparaît déjà dans Jessica Jones, c'est que Netflix et Marvel Television pensent déjà à lui consacrer sa propre série, dans laquelle notre anti-héroïne devrait également faire des apparitions. Elle devrait aussi faire partie de la série The Defenders, qui réunira Luke Cage, Matt Murdock et Iron Fist, équipe de super-héros urbains, à l'image des Avengers.


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    American Horror Story : Hotel, le retour (mitigé) des freaks de Ryan Murphy

     Cinq saisons déjà au compteur de la plus horrifique des séries US, qui a maintenant plus ou moins fait le tour de la petite boutique des horreurs. Maison hantée, sorcellerie, maladie clinique, désordre psychologique et intervention extraterrestre, monstruosité physique, autant de thèmes du film d'épouvante repris dans une anthologie aussi fascinante qu'exaspérante, où le primat esthétique a la fâcheuse tendance d'effacer tout intérêt scénaristique. Ryan Murphy et Brad Falchuck reviennent ici avec une cinquième saison ultra-référencée, introduisant un nouveau bestiaire d'êtres perdus, marginaux, hors normes, pas si différents, finalement, des exclus du freak show précédent. Au bout des cinq premiers épisodes, on est intrigué (un peu), on s'ennuie (beaucoup), et on aimerait que l'intrigue décolle (enfin).

     

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    UNE LEÇON DE REFERENCES CINEMATOGRAPHIQUES

    Si la série fascine, c'est aussi qu'elle entretient son image un peu intello de série esthétisante, loin des intrigues cadencées d'un How To Get Away With Murder où chaque séquence est l'occasion d'un nouveau rebondissement. American Horror Story, c'est une démonstration appliquée, une pédagogie du cinéma d'horreur, c'est un peu comme si un critique de cinéma se plaisait à énumérer ses références en les mettant en scène. L'hôtel Cortez de cette cinquième saison, c'est aussi l'Hostel des tortures d'Eli Roth, l'hôtel Dolphin de la nouvelle de Stephen King, adaptée en 2007 au cinéma (Room 1408). Mais surtout, surtout, les longs couloirs quadrillés du Cortez, ses tapisseries kitsch, ses apparitions furtives d'enfants silencieux et effrayants, ses habitants morts depuis un certain temps, font de cette nouvelle saison un hommage (peut-être trop) évident au chef-d'oeuvre de Stanley Kubrick, Shining. Difficile de se détacher d'une telle référence, quand l'intrigue se déroule là aussi presque intégralement en huis clos, dans cet hôtel californien où cohabitent vivants et morts.

     

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    LADY GAGA, REINE DES VAMPIRES

    L'absence de Jessica Lange au casting de cette saison avait fait couler beaucoup d'encre : les créateurs allaient-ils réussir à renouveler une franchise sans sa figure de proue ? La manipulatrice Elsa Mars du Freak Show a donc été remplacée par la sulfureuse Countess, interprétée par une Lady Gaga bluffante. C'est elle qui, dans ce microcosme anxiogène, édicte les règles : figure politique mais aussi sensuelle, la comtesse effraie autant qu'elle attire. Un truc de vampires, sans doute, façon True Blood. Et c'est là le coup de poker des deux créateurs : alors que la vague Twilight est aujourd'hui passée, que le soap adolescent The Vampire Diaries touche à sa fin, que True Blood s'est enfin terminé après deux saisons de trop, American Horror Story s'intéresse (enfin) aux mythiques vampires.

     

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    Malheureusement, la série ne fait que reprendre des traits narratifs vus et revus et ne propose qu'une relecture partielle de ces figures autrefois fascinantes. Plus que Lady Gaga et ses multiples conquêtes, ce sont ces jeunes enfants aux figures trop blanchâtres pour être humaines qui attirent l'attention : ces petits vampires sont presque plus effrayants que leur « mère », ne laissant paraître aucune émotion. Car c'est là bien la seule innovation véritable d'AHS Hotel : la présence d'enfants au coeur de l'intrigue, alors que l'anthologie n'avait pas encore vraiment évoqué le sujet. Parqués dans une salle de jeu anxiogène, version cauchemardesque des décors de l'enfantin Charlie et la Chocolaterie, ces apprentis vampires aux cheveux blancs sont à la fois attachants et inquiétants, à l'image du fils de l'inspecteur John Lowe (Wes Bentley) et de sa femme Alex (Chloë Sevigny), enlevé par la Countess alors qu'il était tout jeune.

    LA FORME D'ABORD, LE FOND ENSUITE

    Comme dans les éditions précédentes de l'anthologie, Murphy et Falchuck aiment à décrire des personnages hors normes, joués par des acteurs toujours très bons. En premier lieu desquels la géniale Sarah Paulson , qui interprète une prostituée dépressive et défunte, condamnée à une tristesse éternelle entre les murs de l'hôtel Cortez. On retrouve d'autres visages du freak show : Kathy Bates, Evan Peters ou encore Denis O'Dare font à nouveau partie du bestiaire horrifique d'AHS. Malgré des personnages toujours extrêmement bien dessinés, un cadre propice à une intrigue tenue, la série préfère là encore proposer une mise en scène soignée sans véritablement faire le choix d'un scénario cohérent. Du même coup, difficile de maintenir un intérêt pourtant nettement éveillé lors du pilote : l'on regarde plus par attachement pour la franchise que par réel engouement.

    American Horror Story reste le show le plus populaire sur FX, ayant réuni lors de la diffusion du pilote près de 7 millions de spectateurs. La chaîne vient d'ailleurs de commander une sixième saison au showrunner Ryan Murphy, qui travaille déjà sur deux autres séries, la déjantée Scream Queens et la nouvelle anthologie American Crime Story.

     

     

     

     

     


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  • Happy Valley : Drame familial, thriller psychologique et manifeste féministe

    Broadchurch a rapidement connu une renommée européenne, puis mondiale, culminant avec son fade remake US Gracepoint, où nos amis américains étaient allés jusqu'à emprunter l'acteur principal David Tennant à la version originale. Moins connue, plus récente, Happy Valley n'a pourtant rien à envier à son prédécesseur, bien qu'elle s'inscrive dans la même veine narrative : personnages atypiques, traumatismes du passé qui ressurgissent, enquête haletante sur fond de brume anglaise. Bref, une valley tout ce qu'il y a de plus déprimante, où petits et grands délinquants cohabitent avec des policiers forcément débordés.

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    HAPPY (SAD) VALLEY

    Ironie du titre, la vie dans les vallées embrumées du West Yorkshire, au nord de l'Angleterre, semble loin d'être la plus heureuse. C'est une petite ville rongée par la délinquance et le trafic de drogues que nous dépeint Happy Valley, un réalisme social à la Ken Loach voulue par la créatrice Sally Wainwright, étant elle-même originaire de la région. Broadchuch avait l'énigmatique et torturé Alec Hardy, Happy Valley a la charismatique Catherine Cawood, héroïne terriblement attachante. C'est l'actrice Sarah Lancashire qui interprète avec brio ce personnage ambivalent, à rebours des traditionnels canons de beauté qui prévalent dans les séries policières : Cat Cawood n'est pas qu'un physique ; c'est surtout un caractère bien trempé, un sergent hors pair et une grand-mère attentionnée.

    L'élément déclencheur du drame, c'est la libération de Tommy Lee Royce, belle gueule mais dangereux psychopathe qui a violé la fille de Catherine huit ans auparavant, poussant cette dernière au suicide. Le premier épisode constitue véritablement la clé de voûté d'une intrigue qui ne cessera de se délier, et rarement un pilote n'a été aussi captivant et si bien construit. Happy Valley débute comme une série-chorale : l'on est témoin de l'activité de différents personnages, sans que ceux-ci aient pour l'instant de point commun évident. Il y a Kevin Weatherill, comptable peu charismatique qui demande une augmentation à son patron Nevison Gallagher, il y a Catherine Cawood, sergent de police bouleversée à la nouvelle de la libération du violeur de sa fille. Enfin, il y a Ashley Cowgill, personnage trouble aux intentions floues. Peu à peu, les histoires s'entrecoupent, l'étau se resserre, et bientôt la fatalité de la tragédie classique s'abat sur les protagonistes. Bien sûr, Happy Valley est loin de respecter la règle de bienséance, et se lance bien vite dans un naturalisme visuel parfois assez choquant mais toujours justifié. Cette violence latente, elle n'est pas seulement physique : c'est aussi la violence des mots, la violence émotionnelle et relationnelle, à laquelle est confrontée quotidiennement Cawood. Happy Valley est à la fois un drame familial, un thriller psychologique et un manifeste féministe.

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    PORTRAIT DE FEMMES

    C'est Coronation Street, soap opera britannique, qui a fait connaître Lancashire dans les années 1990 avant que son talent n'explose dans la série -également créée par Wainwright- Last Tango in Halifax, rôle qui lui fera remporter le BAFTA du meilleur rôle secondaire en 2014, à 50 ans. Wainwright, c'est un peu la Shonda Rhimes britannique, la seule femme showrunner à monopoliser des créneaux de prime-time des grandes chaînes anglaises que sont la BBC et ITV. Avec en tête, une même volonté, celle de mettre en scène des personnages féminins frondeurs, des « femmes de tête » qui n'ont rien à envier à leurs collègues masculins. Interviewée par le journal The Guardian, Wainwright confiait : « Je trouve les femmes plus intéressantes. Elles sont plus héroiques. Les femmes semblent devoir faire face à plus de choses. ». Du coup, on réalise vite qu'Happy Valley n'est pas un simple thriller psychologique, une chasse à l'homme effrénée et dangereuse : c'est aussi et surtout une plongée dans la violence faite aux femmes, phénomène souvent tabou et rarement évoqué avec autant de réalisme dans une série.

    Pas étonnant alors que le show ait pu faire polémique outre-manche : le passage à tabac de Cawood par le jeune psychopathe Tommy Lee Royce, ou encore le meurtre ultra-violent de la jeune policière et fragile collègue de travail de Cawood au troisième épisode, ont été décriés par la presse anglaise – le Daily Mail, entre autres- et l'organisation Mediawatch-UK, sorte de CSA britannique. A ces accusations, Wainwright répondait « un drame parle de ce qu'il y a de plus noir. Comment de mauvaises choses arrivent à de bonnes personnes. Toutes les femmes dans cette histoire souffrent d'une manière ou d'une autre ». La série repose en effet entièrement sur cette dialectique de femmes ayant souvent vécu des événements traumatisants (le viol, le suicide d'un proche, la drogue) mais qui tentent de « sortir la tête de l'eau » : c'est là que le titre du show fait sens. Wainwright nous dirait-elle qu'il est possible d'être heureux si l'on se bat pour obtenir ce que l'on veut, à l'image d'une Cat Cawood déterminée à mettre Tommy Lee Royce derrière les barreaux pour de bon ?

    Les six épisodes de la première saison ont été diffusés en Grande-Bretagne d'avril à juin 2014 sur BBC One. Face au succès, la chaîne a commandé une seconde saison dont la tournage vient de débuter. En France, la saison 1 est diffusée sur Canal + depuis le 31 août 2015.


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  • UnReal, une fable acerbe sur les mécanismes de la télé-réalité


    UnReal, c’est l’étonnante nouvelle série Lifetime, une mise en abyme vertigineuse et amère dans les coulisses de la télé-réalité. Le show, orchestrée par Sarah Gertrude Shapiro, colle à la réalité des émissions racoleuses aux personnages caricaturaux, et pour cause : Shapiro a travaillé sur neuf saisons consécutives de l’ultra-populaire Bachelor. Dix ans après une expérience qui a failli la pousser au suicide, Shapiro prend sa revanche et co-crée UnReal pour un résultat plus qu’édifiant. Décryptage du pilote, sorti le 1er juin.

     

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    Le monde est un théâtre

    Ce n’est pas un nouveau concept que de prendre le parti de filmer les coulisses de la télé-réalité : Lisa Kudrow en avait déjà eu l’idée en créant la sitcom The Comeback, dans laquelle elle jouait plus ou moins son propre rôle, celui d’une star passée de mode qui tente de renouer avec la célébrité en créant sa propre émission de télé-réalité.

    La grande différence ici, c’est qu’UnReal n’a pas de visée parodique : rares sont les moments où l’on a envie de rire tant la perplexité nous envahit. Si l’ironie est partout, c’est une tragédie réaliste, morale et émotionnelle que mettent en scène Shapiro et Marti Noxon, co-créatrice du show au parcours lui-aussi mpressionnant (productrice exécutive de Buffy contre les vampires, Prison Break, Private Practice, Mad Men…).

     

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    Deux femmes qui abordent la misogynie latente d’une émission du type Bachelor où le beau et riche célibataire Adam (Freddie Stroma) est porté aux nues par des « prétendantes » caricaturales, une ironie qu’elles soulignent dès le début en faisant porter à leur personnage principal Rachel (Shiri Appleby, vue dans Chicago Fire et Girls) un t-shirt « This is what a feminist look like ». L’héroïne est peut-être la pire de tous : son job, c’est d’intervenir auprès des candidates de manière à créer du conflit, des larmes, des confidences inattendues et des faiblesses inavouées. On la croit douce, attentive et prévenante, on la découvre excellente manipulatrice.

    Rachel est aux ordres de Quinn King (Constance Zimmer), reine incontestée d’Everlasting, qui passe son temps à crier des ordres et couche avec le créateur du show Chet (Craig Bierko), par ailleurs marié. Si l’on n’a pas de pitié pour Quinn, on en a pour Rachel qui malgré tout semble fragile et fatiguée d’un travail où elle se retrouve contrainte de révéler les secrets les plus douloureux des candidats : l’enfance difficile de l’une, la virginité de l’autre, rien ne passe à travers les filets d’une évaluation psychologique intrusive des candidates, si bien qu’on découvre sans grande surprise que télé-réalité et fiction vont de pair. La production est sans pitié et ne laisse rien au hasard : les dessous sales d’une télé-réalité sans aucun frein moral ni éthique sont ici allégrement dévoilés. 

    Shapiro laverait-elle son linge sale en public ? La productrice semble avoir vécu une expérience traumatisante sur le Bachelor, un travail harassant qui a révolté son sens moral et sa conscience féministe : Rachel est sans équivoque, son alter-ego : on retrouve chez elle la même ambivalence, sorte d'attirance-répulsion envers un métier que sa morale condamne mais qu'elle aime malgré tout : "ce qui était aussi difficile, c'est que j'aimais ça. Et j'avais l'impression de ne plus me comprendre" confiait-elle il y a peu au magazine Cosmopolitan. La chaîne Lifetime ne nous avais pas habitués à autant de subtilité narrative, et UnReal, qui était déjà dans notre top 5, s'avère bel et bien LA bonne surprise de l'été.


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