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Cucumber, la série gay débridée de Channel 4
Cucumber, pilier d’une trilogie LGBT sans tabou, par Russel T. Davies, créateur de la pionnère Queer As Folk.
Alors que les séries sur la communauté LGBT peinent à voir le jour dans l’hexagone, les showrunners anglais et américains ont eux depuis longtemps pris le pli. Parmi les plus mythiques, The L World, véritable référence pour la communauté lesbienne, ou encore Queer As Folk qui a vu le jour dans les années 90. Comment expliquer la quasi-absence de personnages homosexuels dans les fictions sérielles françaises, alors que le cinéma a depuis longtemps franchi le pas, avec les très explicites La Vie d’Adèle et L'Inconnu du Lac ? Rares, voire inexistants, sont les shows entièrement consacrés à la communauté gay. Les chaînes restent encore frileuses, dans un contexte social malgré tout encore tendu – manif pour tous et j’en passe -. Bref, il semblerait que la perspective d’une série française 100% LGBT relève encore de l’utopie.
La dynamique des séries LGBT anglo-saxonnesUn conservatisme français qui apparaît avec autant de force que nos voisins anglais ont depuis longtemps décidé de faire de ce thème un sujet de prédilection : très tôt, les shows britanniques ont intégré des storylines axées sur la recherche et la découverte d’une identité sexuelle autre, passage obligé de l’adolescence.
Cette thématique, on la retrouve dans des séries emblématiques telles que Skins, qui a marqué une génération d’adolescents en exposant des jeunes adultes en quête d’eux-mêmes. On y suivait notamment le parcours initiatique d’Emily et Naomi, couple contradictoire et attachant, qui montrait la difficulté d’accepter et d’assumer une sexualité différente de la norme. Outre-atlantique, c’est l’excellent teen show Pretty Little Liars qui prenait le relais quelques années plus tard, en incluant dans sa trame narrative l’histoire lesbienne d’un de ses personnage principal, la belle et très féminine Emily, venant ainsi mettre à bas le cliché de la lesbienne masculine.
Transparent, Amazon StudiosIl est vrai que les séries LGBT restent l’apanage des chaînes premium, soumises à moins de censure et donc nécessairement plus audacieuses : The L World a vu le jour chez Showtime, la plus récente Looking chez HBO. Parmi les bonnes surprises de cette année, on retrouve Transparent, une série Amazon Studios, qui centre son intrigue sur un homme qui aime s’habiller en femme. L’autre bonne surprise, plus récente, nous vient d’Angleterre et est sortie le 22 janvier dernier sur la chaîne Channel 4 : c’est Cucumber, pilier d’un tryptique gay original et addictif.La déconstruction des clichésCucumber fait partie d’un tryptique fictionnel qui englobe en tout trois programmes étrangement intitulés Cucumer, Banana and Tofu. Une trilogie imaginée par Russel T. Davies, père de Queer As Folk et scénariste sur Torchwood et Doctor Who. Ce serait après avoir lu un article scientifique sur les stades de l’érection qu’il aurait eu l’idée de ces titres : de «tofu » (mou) à « cucumber » (dur), la signification devient du même coup beaucoup plus transparente.
Forte de ses 45 minutes et de sa diffusion en prime-time (le jeudi soir à 21h), Cucumber constitue la tête d’affiche de ce trio. Banana (20’), diffusée dans la foulée, est une spin-off centré sur les personnages plus jeunes de Cucumber, ce qui engendre parfois des crossovers assez drôles entre les deux shows. Tofu se distingue de ses grandes sœurs puisqu’elle quitte l’univers fictionnel et propose une série documentaire centrée sur les joies et peines de la gay way of life.
Russel T. Davies propose donc au spectateur une immersion totale dans un mode de vie particulier, une façon pour lui de contrer les nombreux clichés sur l’homosexualité. A travers un personnage principal particulièrement complexe, l’excentrique Henry Best (Vincent Franklin), le showrunner s’interroge : l’homosexualité est-elle une identité à part entière ? Peut-on être défini par sa sexualité ? Henry semble parfaitement coller au cliché gay : attiré par le corps masculin, fan de Kylie Minogue et adepte des chemises trop serrées, il n'y a pas de doute quant à son identité sexuelle.
Malgré tout, les failles du personnage sont rapidement révélées, jetant une lumière nouvelle sur cet homme qu’on croyait sans surprise : Cucumber , c'est aussi l’histoire de la phobie sexuelle d’Henry, 46 ans, qui n’est jamais véritablement passé à l’acte, de sa rupture avec son petit-ami de longue date, Lance (Cyril Nri), après une demande en mariage catastrophique. Bref, Cucumber montre la normalité d’un couple gay : la lassitude, l’ennui, la peur de s’engager, l’excitation d’une nouvelle rencontre, le désir sexuel : rien de plus universel dans une série pourtant très orientée.
Interprété par le très bon Vincent Franklin (vu dans L’Illusionniste, La mémoire dans la peau), Henry se retrouve donc à la rue et sans le sou, et se réfugie dans l’immense loft de Dean (Fisako Akinade) et Freddie, deux jeunes collègues de travail (et gays bien sûr !). Henry redécouvre la vie d’un jeune homosexuel, fantasme sur son colocataire Freddie (Freddie Cox, vu dans Pride), bel éphèbe blond au corps finement musclé, qui déambule en caleçon et change de partenaires sexuels comme il change de chemises. Jubilatoire, Henry annonce à son ex petit-ami, « We all live togethier in a great big gay house, being gay ! ».
Diffusée depuis le 22 janvier sur Channel 4, Cucumber comptera huit épisodes. Très addicitve, la série a parfois tendance à virer au soap-opera. Heureusement pour nous, l’originalité et l’anti-conformisme du personnage principal maintiennent Cucumber au rang de bonne série, où la réflexion de fond se mêle à la légèreté apparente de l’intrigue.
Cucumber, Banana, Tofu : bande-annonce
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